On n’est jamais prophète chez soi, ou plutôt, il est parfois plus difficile de prêcher à demeure que dans un autre pays. J’étais dans ce cas justement avec ma ferme urbaine assurant la production de légumes et de fruits 100% bio en pleine ville avec le concours d'une population d'exclus de la société. J’y garantissais aux humains normaux, mutants et non humains de tous bords un mode de vie sain et harmonieux avec même la possibilité de partir au loin dans d'autres endroits non pollués et écartés de toute civilisation et du sale esprit anti mutant qui régnait.
La mise en place du réseau de distribution n’avait pas été trop compliquée, je vendais un peu en dessous du marché, toute l’année mais à des quantités réduite pour l’instant mais régulières.
Seul bémol, les marchands de Chinatown qui étaient soumis à la décision des triades et des cartels asiatiques, donc pieds et poings liés tant que des tractations ne seraient effectuées dans les règles de ce peuple très épris de conventions et un terrain d’entente trouvé.
C’est donc dans ce but que je venais ici, dans cette ville dans la ville, afin de convaincre ses maître invisibles et de signer un contrat, ne serait ce que d’une poignée de main et d’un engagement oral.
La chose fut longue, mais finalement aisée. Mes fruits étaient de bonne qualité, les économies de transport indéniables et le bénéfice pour eux, comme pour moi, incontestable. Tout le monde y trouvait son compte et largement. J’eu même le bonheur de ressortir de l’échoppe anonyme où tout cela avait été réglé avec dans la poche de ma veste un document en mandarin et en anglais stipulant toutes les conditions posées et acceptées et les autorisations obtenues.
C’était cependant la fin de l’après-midi, en début de soirée même vu que le soleil disparaissait à l’Ouest, et je n’aspirais qu’à une bonne douche et un plateau repas devant la télé à regarder un bon film comme le dernier « Batman VS Superman (6) » en sortant de ce marathon commercial.
Mais en cherchant un coin tranquille pour revêtir mon moyen de transport à l’écart de cette foule qui parcourait en permanence les trottoirs et même les rues, j’arrivais finalement dans celle d’une vieille connaissance dont le magasin s’ouvrait là depuis des temps immémoriaux.
Comment résister à cette envie de la revoir, on ne peut pas quand le chant des sirènes vous a déjà touché une fois ... J'arrivais donc là, face à la vitrine toujours aussi bien achalandée, habillé d'un costume me faisant ressembler plus à un chef de la pègre de Chicago du temps de la prohibition. Je l'avais fait faire sur mesure chez le même tailleur que le ponte de la triade avec lequel je venais de passer des accords histoire d’avoir un espace commun de discussion en dehors des affaires.
Un chapeau mou sur la tête type Borsalino de la même couleur blanc-crème venait compléter le tableau sous lequel mes cheveux gominé et lié en petites queues de cheval qui me donnaient un air de Yakusa quand je l’ôtais. Ajoutez à cela les lunettes noires ainsi que mon mètre quatre-vingt-treize et vous comprendrez que le trottoir se vidait devant moi sans que j’y puisse rien.
J’entrais dans la boutique, faisant tinter joyeusement des grelots avec le battant au passage comme la fois d’avant et quand la porte se referma derrière moi je retrouvais cette sensation de total dépaysement que j’avais ressenti il y a un bon moment maintenant.
La décoration était presque la même, exotique mais pas trop. Comme la dernière fois, je me penchais au-dessus de l’étal à thé, regardant toutes les variétés proposées, après avoir souri en relisant la fameuse pancarte qui indiquait que cette boutique faisait aussi office de salon de massages, et presque au même moment qu’autrefois, le bruissement discret venant de l'arrière boutique vint m’alerter que quelqu’un venait, mais je ne relevais toujours pas la tête, reluquant de derrière mes verres fumés et sous le bord du chapeau celle qui venait aux nouvelles …
Vous avez la même variété de thé que la dernière fois ? je demandais en maquillant à peine ma voix …